Intégrer la compréhension du « fait habitant » dans les projets territoriaux : vers un diagnostic affectif
Hélène Bailleul  1, *@  , Benoît Feildel  2, *@  
1 : Espaces et Sociétés  (ESO)  -  Site web
Université de Nantes, Université du Maine, Université d'Angers, Université de Caen Basse-Normandie, CNRS : UMR6590, Agrocampus Ouest, Université de Rennes II - Haute Bretagne
Maison de la Recherche en Sciences Sociales. Place du Recteur Henri Le Moal. 35043 RENNES CEDEX -  France
2 : Cités, Territoires, Environnement et Sociétés  (CITERES)  -  Site web
CNRS : UMR7324, Université François Rabelais - Tours
33 allée Ferdinand de Lesseps BP 60449 37204 Tours cedex 3 -  France
* : Auteur correspondant

Cette proposition de participation à la table ronde prend pied dans un processus de recherche engagé depuis les travaux doctoraux respectifs sur la place de l'habiter (et de l'habitant) dans les projets d'aménagement, question investie à de multiples reprises (recherches doctorales, programmes de recherche entre 2008 et 2014), et selon de multiples angles. Nous pourrons nous faire le relais de résultats de recherches nous ayant amenés à réfléchir à l'intégration de l'habiter dans les sciences du projet (Bailleul, Feildel et Thibault, 2012) ainsi que des premiers résultats d'une recherche en cours qui pose la question des méthodes d'un diagnostic affectif permettant d'intégrer la compréhension du « fait habitant » dans les projets territoriaux (Programme Urbaffect, 2012-2014).
Ces travaux intéressent à plusieurs titres les objectifs du colloque. En effet, nous avons, à diverses reprises, interrogé cette place de l'habiter au regard d'une structure du projet pouvant être présentée sous la forme schématique de phases (intention-conception-réalisation-usage), donnant lieu à une certaine récursivité. L'idée maîtresse est de se demander à quel(s) stade(s) du projet l'habiter (représenté schématiquement par la figure de l'usage) est-il pris en compte, ou doit-il être pris en compte. Partant, la relation du projet à l'habiter oriente alors toute recherche en science de l'action vers la compréhension du sens que les individus fabriquent au cours du processus de projet et vers une conception constructiviste et interactionniste du processus d'action sur l'espace (Zuidema et De Roo, 2004). Nous avons ainsi identifié que l'intégration de l'habiter reconfigure le processus de projet qui lui-même configure l'habiter ; et que cette boucle de rétroaction incite à ouvrir le processus de projet, à concevoir un projet permanent où sans cesse l'habiter est en relation avec l'ensemble des phases (Bailleul, Feildel et Thibault, 2012). Ce premier niveau de réflexion doit être nécessairement amendé dès lors que l'on introduit, au-delà d'une modélisation, les situations et les contextes dans lesquels opèrent les projets. En complément à cette approche par l'ingénierie du projet, les travaux menés ont eu le souci de développer des questionnements autour du contexte communicationnel dans lequel s'opère les échanges habiter/projet. La dissymétrie inhérente aux rôles portés par les acteurs (usager/concepteur/décideur) pose nécessairement la question de la faisabilité d'une intégration, par les processus eux-mêmes de cet habiter. Quelle ingénierie est propice à un projet ouvert et permanent ? Pour répondre à cette question il nous a fallu développer une approche critique du projet et de ses modes opératoires. Nous avons pu montrer que les processus communicationnels classiquement à l'œuvre dans les projets sont loin d'assurer l'ouverture du projet (Bailleul, 2009) et sa dimension participative. A ce titre le contexte de la ville durable et de la transition énergétique est emblématique d'une communication-sensibilisation qui ne travaille pas sur la base d'un projet de société produit collectivement (Gagnebien et Bailleul, 2012). Fondée notamment sur une logique de culpabilisation, la communication autour des projets de la ville durable accentue, au titre de l'urgence à agir, la dimension normative de la construction des projets d'habiter (comportements appropriés, densité appropriée, etc.) ne laissant qu'un seul mode de succès du projet : « l'appropriation de la connaissance appartenant au système du spécialiste dans le système de représentations du non-spécialiste » (Vincent, 2006).
C'est dans la perspective de questionner cette opposition radicale entre modélisation théorique d'un projet ouvert et mise en évidence des écueils nécessairement observés lorsque l'on s'intéresse au processus « en situation » dans une perspective critique, que nous nous proposons de discuter en dernier lieu du programme Urbaffect. Ce projet associant des chercheurs spécialistes de l'analyse du rapport sensible des habitants à leurs lieux de vie (Denis Martouzet, Benoit Feildel, Nathalie Audas, Annabelle Morel-Brochet, Georges-Henry Laffont) et des professionnels des CAUE de la région, propose de formaliser collectivement une méthode de diagnostic affectif pouvant trouver sa place dans des projets opérationnels. Sans détailler le processus de la recherche et les terrains abordés, nous poserons plus généralement la question du rôle que les chercheurs peuvent avoir auprès des professionnels pour rendre compatible l'analyse compréhensive des modes d'habiter avec un processus et une ingénierie de projet. Nous pouvons d'ores et déjà préciser quelques aspects de notre intervention sur ce point : comment l'appellation de « diagnostic affectif » questionne les chercheurs sur leurs méthodes d'investigation du rapport affectif (introduction d'une démarche quantitative dans un but comparatif à grande échelle : 7 terrains investigués parallèlement). En parallèle, comment les théories inhérentes au rapport affectif peuvent être transmises aux professionnels à la fois comme objet avec lequel la conception doit ou peut avoir à composer (en définissant celui-ci comme objet parmi un système complexe) et à la fois comme clé de lecture des processus de projets (affects et appropriation des projets, affects et conflictualité dans les projets). Enfin, nous pourrons aborder, pour conclure et répondre en dernier lieu à l'un des objectifs de ce colloque, l'implication des affects dans les interactions de projets (relations inter-acteurs) qui permet de poser la question de leur intérêt pour la créativité des projets dans un contexte d'incertitude (Feildel, 2010).

Bibliographie :
Bailleul, H. (2009), Communication et projets urbains. Enjeux et modalités de la communication entre acteurs du projet et habitants, Thèse de doctorat en Aménagement de l'Espace, Université de Tours, 591 p.
Bailleul H., Feildel B. et Thibault S. (2012), «La structure de l'habiter : éléments de connaissance et perspectives pour les sciences du projet », in Frelat-Kahn et Lazzarotti, Habiter : vers un nouveau concept ?, Armand Colin, pp.245-262
EhEA (2008), Espaces Habités, Espaces anticipés : qualification de l'espace, Rapport de recherche ANR, http://citeres.univ-tours.fr/p_ipape/textes_en_ligne/module1.pdf
Feildel B. (2010), Espaces et projets à l'épreuve des affects. Pour une reconnaissance du rapport affectif à l'espace dans les pratiques d'aménagement et d'urbanisme, Doctorat d'aménagement, Université Tours, 627 p.



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