Cette communication propose d'examiner des projets d'aménagement qui visent l'implantation de nouvelles infrastructures en France au prisme d'une sociologie des innovations. Elle s'appuie pour cela sur une enquête de terrain en cours sur la constitution d'une filière française de l'éolien en mer, et prend pour contrepoint un matériau glané lors d'une expérience professionnelle passée (2010 – 2012), en tant que porteur de projets de nouvelles lignes ferroviaires chez Réseau Ferré de France.
Depuis près de trente ans, des travaux en sociologie des innovations insistent sur le fait qu'un projet est défini en même temps qu'il ré-agence l'environnement dans lequel il s'inscrit (Akrich, 1989). L'attention se trouve ainsi attirée par l'ancrage territorial des projets considérés. Or, essentiellement pour des raisons de coût et des modes de calcul de leur rentabilité socio-économique, la réalisation de projets publics localisés réclamant d'importants investissements financiers est devenue délicate dans le contexte budgétaire actuel. Un projet de parc éolien en mer coûte par exemple en moyenne deux milliards d'euros en France ; le coût d'une ligne nouvelle de chemin de fer peut quant à lui dépasser les dix milliards d'euros. Certes, de tels projets peuvent a priori apparaître comme très différents, tant du point de vue de la distribution de la maîtrise d'ouvrage que de leurs fonctionnalités ou de leurs conditions de réalisation. L'enjeu de cette contribution est de dépasser les singularités et de saisir des éléments de convergence observables dans une série de cas, afin de proposer une analyse des transformations du développement et du portage de projets, sans exclusivement se cantonner à une approche institutionnelle des innovations (Utterback, 1996).
Je voudrais montrer qu'il est devenu difficile de penser de tels projets en les détachant des filières dans lesquels ils s'inscrivent : pour les rendre réalisables, l'Etat a défini des politiques sectorielles au sein desquelles les projets viennent se loger tout en donnant corps à ces politiques, à la manière dont s'emboîtent des poupées gigogne. Les projets se déclinent à plusieurs échelles et c'est leur assemblage dans des « systèmes » (Hughes, 1983) de plus grande échelle qu'ils dessinent qui leur offre de nouvelles perspectives. L'Etat a ainsi proposé de nouvelles définitions des projets qui existaient localement et a fait apparaître de nouveaux acteurs. L'existence de politiques nationales s'accompagne dans chaque cas d'un retour des projets redéfinis vers les territoires concernés, à la recherche de nouveaux ancrages locaux. C'est ce mouvement de va-et-vient entre différentes échelles que ce papier propose d'analyser, en décrivant le jeu d'acteurs et les méthodes utilisées.
Eléments bibliographiques :
Akrich, Madeleine, 1989, « La construction d'un système socio-technique. Esquisse pour une anthropologie des techniques », Anthropologie et Sociétés, volume 13, n°2, pp. 31-59.
Hughes, Thomas, 1983, « L'Electrification de l'Amérique. Les bâtisseurs de systèmes », Culture technique, n°10, pp. 21-41.
Utterback, James, 1996, Mastering the Dynamics of Innovation, Boston : Harvard Business School Press.
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