La tolérance à l'ambigüité comme condition cognitive de la démarche projet : le cas des cadres dirigeants territoriaux
Pascal Roggero  1, *@  
1 : IDETCOM  (IDETCOM)
Université Toulouse I (UT1) Capitole
* : Auteur correspondant

Le sociologue G. Hofstede (2001) a montré que les organisations françaises sont caractérisées, entre autres, par une plus faible tolérance à l'ambigüité que celles de ses grands voisins notamment d'Europe ou d'Amérique du Nord. Au pays de Descartes, des Lumières et du « rationalisme constructiviste » (Hayek, 1949), on continue donc, plus qu'ailleurs, à chérir les idées claires et distinctes, constitutives de l'évidence qui, selon l'auteur du Discours de la méthode, caractérise la vérité. S'il semble acquis que la tolérance à l'ambigüité est associée à la réussite entrepreneuriale (Gasse, 2011) nous ne connaissons pas d'étude qui se soit intéressée à cette question dans la sphère publique territoriale. Nous proposons de le faire en nous intéressant aux cadres dirigeants de la fonction publique territoriale français. De par leurs fonctions, ils sont conduits à participer à la conception, la réalisation et/ou le suivi de nombreux projets à vocation territoriale. Les cadres que nous étudions, essentiellement des administrateurs, des ingénieurs en chef, des conservateurs, des directeurs et plus rarement des attachés, ont suivi un stage de formation intitulé « Manager dans la complexité » à l'Institut National des Etudes Territoriales de mars 2012 à janvier 2014. Il leur est demandé pour participer à ce stage, de décrire une situation problématique qu'ils ont rencontrée dans leur pratique. Nous souhaiterions présenter quelques résultats du traitement lexicologique et sémantique de soixante cas recueillis. On constate d'abord qu'effectivement le langage du projet est omniprésent dans le vocabulaire de ces cadres. Ensuite, les principales interrogations relatives à leurs difficultés tournent autour de plusieurs thématiques : celle de la coopération (des agents dans les services, entre différentes institutions), celle du sens de leur action (que signifie le service public dans les conditions actuelles ?) et, plus généralement, ce qu'ils décrivent comme la « complexité » à laquelle ils disent être confrontés (restructuration institutionnelle, prolifération et incertitudes normatives, réductions des moyens financiers et humains, croissance des besoins, etc.). En centrant notre propos sur cette dernière, nous souhaiterions montrer que l'effet du contexte anxiogène qu'ils rencontrent est renforcé par ce que l'on peut caractériser comme une forme d'intolérance à l'ambigüité se traduisant par un inconfort et/ou une inhibition de l'action dans des situations, de plus en plus nombreuses, où les intentions initiales des projets et leur instrumentation rationnelle n'aboutissent pas nécessairement aux résultats attendus.

Gasse Y., 2011, « Les entrepreneurs des secteurs technologiques : leur profil, leurs motivations et leurs actions », Management & Avenir, n° 42, p. 247-261.
Hayek F. A., 1979, The Counter-revolution of Science: Studies on the Abuse of Reason, LibertyPress, Indianapolis [1952].
Hofstede G., 2001, Culture's Consequences: Comparing Values, Behaviors, Institutions and Organizations Across Nations, Thousand Oaks CA: Sage Publications.



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